tu nous entends l'univers, tu nous entends ?
si tu nous entends, attends-nous, on arrive

   Roxane se réveilla quelques instants après que son réveil eut sonné, et aussitôt, un poids fit apparition en elle. C’était toujours cette sensation de mal-être qu’elle n’arrivait jamais à faire disparaître, c’était là, toujours, ça lui donnait envie de vomir, de pleurer, de hurler. Le soir, elle tardait à s’endormir et le matin, elle ne voulait pas se réveiller. Elle aurait aimé qu’il lui arrive quelque chose de grave et qu’elle sombre ainsi dans le coma, pour ne plus avoir à penser, à ressentir. Roxane se leva avec difficulté, se rendit dans la salle de bains où elle prit une douche brûlante. Elle se sécha les cheveux, s’habilla, se maquilla légèrement, mit son sac de cours sur l’épaule et dévala les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée. Elle passa devant le salon sans s’y arrêter ni y jeter ne serait-ce qu’un regard. Elle savait sa mère présente dans la pièce, malgré la pénombre, malgré le silence. Elle avait sûrement été trop ivre pour monter se coucher dans sa propre chambre, alors elle avait passé la nuit ici. Roxane ne supportait pas ça. Elle s’arrangeait pour passer le moins de temps possible avec sa mère, et pour cela, elle n’hésitait pas à partir de la maison plusieurs heures avant le début de ses cours, et à rentrer tard le soir. La jeune fille n’attrapa qu’une pomme dans la cuisine et se précipita à l’extérieur en prenant soin de faire claquer la porte d’entrée.

Roxane n’avait pas pris ses rollers, elle préféra marcher jusqu’au parc près de son lycée. Elle s’assit au pied d’un grand chêne, un endroit qu’elle affectionnait particulièrement car dissimulée derrière cet énorme tronc, elle était isolée des autres et en général, on lui fichait la paix. Seuls ses amis venaient la trouver là, et parfois, Zach la rejoignait aussi. Mais ce matin-là, elle le sentait, Zach ne viendrait pas. Leur dernière dispute résonnait encore en elle, et elle savait qu’ils ne se reverraient pas avant quelques jours, voire quelques semaines. Et cela la rongeait de l’intérieur.

Pour éviter de trop penser à ce qui la rendait mal, Roxane extirpa un roman de son sac. Elle l’avait acheté récemment et en avait déjà parcouru la moitié, elle l’aurait terminé avant la fin de la semaine. La jeune fille était plongée au beau milieu d’un chapitre lorsqu’elle sentit une présence se rapprocher. Pensant d’abord à Allie, puis Bianca (elle s’interdit de songer à Zach), elle leva les yeux d’un air surpris. Et son étonnement n’en fut que plus grand lorsqu’elle vit en face d’elle une lycéenne qu’elle avait du croiser à deux ou trois reprises, mais qui ne lui disait rien. Haussant les sourcils, Roxane détailla de haut en bas la nouvelle venue, et il lui fallut moins d’une minute pour se rendre à l’évidence : elle n’aimait pas cette fille. Il suffisait de l’observer pour comprendre qu’elle était tout ce que Roxane ne supportait pas. Une manucure parfaite, des cheveux soyeux et parfaitement coiffés, un maquillage un peu trop osé, des vêtements à la limite de l’aguichage… C’était le genre de petite pimbêche insupportable qui croyait pouvoir faire sa loi en se croyant légitimement supérieure aux autres. C’est sûr, Roxane paraissait à côté de la plaque avec son jean, ses Converse et le sweat trop grand qu’elle avait emprunté à Zach la dernière fois qu’ils avaient passé la nuit ensemble. Mais la jeune fille préférait largement être comme elle était, et pour rien au monde elle n’aurait voulu ressembler à celle qui s’était approchée d’elle. Toujours en haussant les sourcils, Roxane lançait à présent à l’autre fille un regard dédaigneux. Mais Rox n’était pas au bout de sa surprise : l’adolescente eut le culot de s’asseoir juste à côté d’elle. Un rire nerveux s’échappa de la gorge de Roxane et elle eut un mouvement de recul.

- Euh… ouais ! Je peux savoir ce que tu fous ?!

Comme s’il n’y avait pas assez de place dans ce parc… Roxane eut la désagréable impression qu’elle devrait remettre la lecture de la fin de son chapitre à plus tard.
   

tu nous entends l'univers, tu nous entends ?
si tu nous entends, attends-nous, on arrive

   Cette fille devait avoir un égo surdimensionné, devina Roxane lorsqu’elle lui répondit.

-Tu t’es dit que… balbutia-t-elle.

Elle n’en revenait pas. Quel culot… Elle était tellement surprise qu’elle en bégayait, plusieurs répliques cinglantes lui brûlaient les lèvres. Cette Milly avait une fierté telle qu’elle croyait que tout le monde ne pouvait qu’être heureux de sa présence ? Mais pour qui elle se prenait ?! Le visage de Roxane laissait apparaître une expression de surprise.

-Ça va les chevilles ? demanda finalement Roxane. Tu crois vraiment que je n’attendais que ça, que Milly-la-reine-du-monde-entier vienne s’asseoir à côté de moi ? Tu ne t’es pas dit que si j’étais seule, c’était peut-être qu’il y avait une raison ?!

Roxane était froide, sèche, tranchante. L’attitude de cette fille l’avait énervée, et ça n’irait pas en s’améliorant si cette Milly ne redescendait pas immédiatement de son piédestal. Bon, c’est vrai qu’elle y était allée un peu fort. Après tout, la jeune fille ne lui voulait visiblement aucun mal, bien au contraire, même si elle avait certes très maladroite en l’abordant. Mais maintenant qu’elle était lancée, Roxane n’allait pas se radoucir tout de suite. Et s’il y avait bien une chose qu’elle ne pouvait pas supporter, c’était qu’on ait pitié d’elle. C’était bien le dernier sentiment au monde qu’elle souhaitait inspirer. Roxane était une grande fille, et elle n’avait besoin de personne. Son roman de Boris Vian reposait sur l’herbe fraîche, et elle y jeta un regard déçu. Elle n’allait pas se dépêtrer de Milly de si tôt, elle le pressentait.